Connaissances et oubli selon Saint Leibowitz

TRIBUNE

Dans le livre de science-fiction Un cantique pour Leibowitz, Walter M. Miller Jr. met en scène un futur post-apocalypse nucléaire où une communauté de moines préserve un corpus de connaissances délaissées mais en protège l’accès pour éviter de replonger l’humanité dans le chaos. Ce livre américain publié en 1959, qui évoque la destinée du savoir vient d’être réédité par Folio SF. L’occasion d’interroger le directeur de la collection (Pascal Godbillon) et un journaliste spécialisé (Jérôme Vincent).

leibowitzQuel est le sujet du livre ?

Jérôme Vincent. Ce livre se compose en fait de trois parties, toutes trois se déroulant à des époques différentes, à plusieurs siècles d’écart. Il y est question de la destinée d’un monastère. La première partie se situe six siècles après l’apocalypse nucléaire. Les survivants ont rejeté toute forme de savoir sous prétexte que la science a conduit le monde à la catastrophe. Un jeune moine découvre un lieu secret rempli de livres. Après certaines péripéties, les ouvrages sont cachés au sein de l’édifice religieux…

Qu’est ce qui a poussé l’auteur à écrire une telle fable ?

J. V. A priori, c’est la destruction de l’abbaye de Monte Cassino, au cours de la seconde guerre mondiale, qui a poussé Walter Miller à écrire ce livre dans le courant des années 50. Cet ancien soldat a participé aux combats autour de l’édifice. Le lien semble évident, tout comme le traumatisme qu’ont été les bombes nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki. L’homme a été un novelliste plus qu’un romancier et Un cantique pour Leibowitz a été son seul ouvrage (et encore composé de trois grosses nouvelles). Il s’est suicidé pendant la rédaction de la suite dans les années 90.

Pascal Godbillon. L’épisode de la guerre l’a profondément meurtri. Il a écrit ce livre comme thérapie. Walter Miller Jr. vivait dans la solitude. Il écrivait aux auteurs qui lui plaisaient pour les féliciter mais leur précisait qu’il ne voulait pas les rencontrer ! On peut aussi penser à un auteur SF comme Joe Haldeman qui a écrit La guerre éternelle après son retour du Vietnam.

Quel est le sens de cette histoire ?

J. V. L’œuvre est riche de nombreuses thématiques et questions. Elle évoque les fluctuations de l’humanité, passant après des périodes de technologies à des périodes de barbarie dans lesquelles les sciences et le savoir sont rejetés. C’est la question même de la connaissance et de ses liens avec la paix qui sont explorés. Sommes nous plus heureux avec la connaissance ?

P. G. C’est un roman qui est d’une actualité brûlante si l’on analyse les événements en Syrie par exemple. Le grand principe du livre, c’est que l’humanité a failli se détruire et que malgré cela, elle recommence. Côté archivage, l’enseignement du livre c’est qu’avec le numérique, les hommes se seraient retrouvés avec du silicium mort après l’apocalypse. Avec les archives papiers, ils arrivent à recréer les premières formes de technologies. Avec un support numérique, on peut perdre la compréhension du signal et le signal lui même.

Ce livre, comme d’autres ouvrages de science-fiction fait donc écho à notre réflexion sur la perte des connaissances ?

J. V. Oui parce que la science fiction est fondamentalement un genre qui ne cesse de s’interroger sur notre présent. C’est aussi pour cela que ce livre reste très actuel, proche de nous. Côté références, on peut évoquer Fondation d’Isaac Asimov bien évidemment, où une communauté de scientifiques sauvegarde les connaissances humaines en prévision d’une période de barbarie.

P. G. Sur la problématique de l’archivage, je pense à Borges avec sa bibliothèque de Babel qui stocke des livres illisibles. Un autre ouvrage me vient à l’esprit : Le Successeur de pierre. Son auteur, Jean-Michel Truong part d’une bulle du premier pape, puis bascule dans un futur (2032) où les hommes sont emmagasinés dans des pyramides. Il présente en fait l’humanité comme quelque chose de transitoire. La majuscule est à successeur, pas à pierre car c’est bien lui l’être supérieur. Le successeur c’est le numérique ; l’être numérique qui doit remplacer l’humanité. On archive les consciences dans le silicium. Un livre très en lien avec votre thème…

Pourquoi avez-vous choisi de rééditer Un cantique pour Leibowitz ?

P. G. Cela fait quelques années que le livre n’était plus disponible. Les ventes n’étaient pas très importantes donc nous avions pris le parti de le laisser dans cet état. Cette décision me frustrait beaucoup car c’est un ouvrage majeur. Il se trouve que des années après, Walter Miller avait entamé une suite. Mais, il était dans une impasse littéraire. Il a cherché un auteur qui pourrait finir le travail. Avant de se suicider, il a laissé un grand nombre de notes sur la destinée du roman. La suite n’était plus disponible non plus depuis un long moment. Cette fois, nous allons sortir les deux ouvrages en même temps. Certains auteurs sont les auteurs d’un seul livre. C’est bien le cas de Walter Miller ! Un cantique pour Leibowitz est un grand livre de SF qui a essaimé au-delà du genre.

Pour aller plus loin : le livre sur Folio SF | Actu SF

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