Digital Dark Age par David Guez

TRIBUNE

David Guez est un artiste numérique qui habite Montreuil. Il travaille sur le lien social et sur le rapport entre le temps et la mémoire. Nous l’avons interrogé sur ce deuxième aspect alors qu’il vient d’exposer son travail au Centre Pompidou et qu’un de ses projets est présenté dans la galerie virtuelle du Jeu de Paume, actuellement consacrée à l’Erreur d’impression.

Un artiste numérique programme-t-il  toujours ses installations ?

Pas forcément. Personnellement, cela m’arrive souvent car j’ai d’abord suivi des études d’informatique où j’ai appris plusieurs langages. Après ce cursus, j’ai enchaîné avec les beaux-arts pour devenir plasticien. À la fin des années 90, j’ai bifurqué vers le Web. J’ai commencé à travailler sur les rapports entre les flux virtuels et l’espace réel. Au début des années 2000, je me suis intéressé aux médias présents sur le réseau. J’ai créé à cette occasion une télé Web dédiée à l’art contemporain. Le site était ouvert : tout le monde pouvait m’envoyer ses créations.

Comment avez-vous démarré votre travail sur la mémoire et le temps ?

En réalité, mon travail de télé en ligne consistait à créer des matrices qui reçoivent du contenu et le stockent. C’est ainsi que j’ai commencé à m’interroger sur les aspects liés à la pérennité des informations. J’ai voulu prendre le contre-pied du temps réel. J’ai lancé une série baptisée 2067 où la première œuvre prend la forme d’un site Web qui permet d’envoyer des messages dans le futur. Je stocke ces contenus dans des fichiers texte car je me suis dit que les formats SQL (Structured Query Language) n’étaient pas forcément pérennes. Je crypte les données pour respecter la confidentialité des courriels. Et tous les jours, une horloge traite les e-mails à envoyer. Le système est installé sur un serveur qui est répliqué pour assurer sa survie. Enfin, au moins jusqu’en 2067…

Pourquoi cette date ?

guez

100 ans après ma naissance : c’est une limite symbolique. Peut-être la date de ma mort… J’ai ensuite décliné le concept avec une radio et des cabines téléphoniques. Toujours sur le même principe mais hors du réseau. Je m’interroge en effet sur la fragilité des nouveaux médias et des supports. J’ai d’ailleurs créé une œuvre à ce propos : disque dur sur papier. Elle a consisté à imprimer dans un livre le code binaire d’un fichier. J’ai commencé avec Le voyage dans la lune de Méliès, puis avec La jetée de Chris Marker. J’ai matérialisé au format papier des fichiers pour leur donner une chance de plus de survivre.

Matérialiser le numérique, c’est votre nouvelle voie d’exploration ?

Oui, je réalise en ce moment des installations de land art numérique, toujours sur ce thème. Je vais par exemple encoder un fichier image de la Joconde avec des arbres. Concrètement, je vais placer des 0 et des 1 sur des troncs dans une forêt. J’ai calculé qu’il m’en faut 8.000 environ. Cette recherche vise à inventer des méthodes de vitrification du virtuel dans le réel.

Pour aller plus loin : www.guez.org | Espace virtuel du Jeu de Paume

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