Aliados de Sebastian Rivas au Théâtre de Gennevilliers

TRIBUNE

La création de l’opéra de Sebastian Rivas se déroulait dans une salle de Gennevilliers joliment comble. Une énième adaptation d’un classique littéraire ? Pas du tout, la rencontre (réelle en 1999) de deux personnages politiques controversés de la fin du XXe siècle : Augusto Pinochet et Margaret Thatcher. Autant le dire tout de suite, le pari est magnifiquement réussi.

On songe bien évidemment au Nixon in China de John Adams qui recréait la visite du président Nixon dans la Chine communiste de 1972. La gageure est ici plus risquée car les deux personnages d’Aliados (Alliés) ne bénéficient pas du même capital de sympathie que les époux balourds Nixon. La première réussite du spectacle tient dans l’incarnation extraordinaire de Lionel Peintre (regard de militaire, orgueil inquiétant, ce baryton est une star de cinéma !) et de Nora Petrocenko (présence physique rayonnante, absences mentales de Thatcher saisissantes).


Aliados (Alliés) de Sebastian Rivas. Extrait par Ircam

La rencontre a vraiment eu lieu, disions-nous : en 1999, Margaret Thatcher rendait visite au dictateur assigné à résidence pour réaffirmer sa gratitude lors de la guerre des Malouines en 1982. Le livret d’Esteban Buch mêle avec talent le quotidien – chacun des personnages est suivi d’un aide de camp pour le premier (Thill Mantero, belle voix claire) et d’une nurse pour la seconde (Mélanie Boisvert), et le versant politique (l’époustouflante apparition d’un matelot disparu joué par Richard Dubelski).

Certes, le spectacle n’est pas sans scories : la belle mise en scène d’Antoine Gindt, aux gestes fluides, est sacrifiée au profit de la réalisation vidéo de Philippe Béziat et l’œuvre est plutôt statique. Mais c’est précisément le sujet d’Aliados : sous-titré « opéra du temps réel », l’opéra permet véritablement d’entrer dans la tête de deux personnages politiques, qui choisissent l’oubli plutôt que de se rappeler leurs crimes. Cette impression d’être dans la caisse résonante de Pinochet et Thatcher est renforcée par la présence virtuose de l’électronique sous toutes ses formes, grondante, réverbérante qui agit comme une extension de la partie vocale et instrumentale. De même, le léger décalage (quelques dixièmes de secondes ?) apporté entre les paroles des chanteurs et leur renvoi sur grand écran induit un trouble onirique à l’ensemble. Tout contribue à créer une expérience vivante mais menacée toujours de disparition.

C’est finalement la musique de Sebastian Rivas qui réunit le lien entre tous ces éléments hétérogènes. Participant pleinement de l’esthétique du son saturé, elle combine une délicatesse instrumentale rock à une électronique qui cependant jamais ne tombe dans l’illustratif ou l’ambient. Certains passages sont très savoureux (les cloches tubulaires pour représenter la Dame de Fer, le tango infernal des dictateurs) et la musique, tout en gardant sa charge satirique, se hisse à la hauteur nécessaire aux crimes qu’elle raconte.

Magistralement interprété par l’Ensemble Multilatérale dirigé par Léo Warynski, Aliados est un magnifique cauchemar qui vous hante.

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