Scardanelli-Zyklus de Heinz Holliger à la Cité de la musique

TRIBUNE

ManiFeste-2013 a choisi une pièce chorale de près de trois heures pour ouvrir le festival. Aussi, c’est peu de dire qu’on entrait à la Cité de la Musique avec un peu d’appréhension ! Le programme est difficile et le compositeur n’est pas connu pour verser dans la facilité. Et pourtant, le miracle de Scardanelli-Zyklus, tel qu’il a été donné ce soir, c’est qu’on ne s’y ennuie pas un seul instant. La grande forme voulue par le compositeur Heinz Holliger instille un envoûtement incomparable, qui s’accentue au cours de la vingtaine d’épisodes d’une oeuvre qui se déplie à la manière d’une immense fresque sonore.

Scardanelli-Zyklus, c’est un peu le portrait du poète Hölderlin par Holliger. On songe bien sûr à Pli selon Pli que Boulez (présent dans la salle) a composé dans les années 60 à partir des poèmes de Mallarmé. Mais le compositeur suisse a imaginé trois cercles pour donner vie à la poésie du romantique allemand. Composé entre 1975 et 1991, le résultat ne lasse pas de surprendre : à une pièce pour chœur (le Chœur de la Radio Lettone), succède une pièce pour ensemble instrumental (Ensemble Intercontemporain), jusqu’à une pièce pour flûte seule (une Sophie Cherrier en apesanteur) et même pour bande ! On pourrait craindre l’hétérogène. Et pourtant, ce qui frappe à l’écoute, c’est la continuité de l’œuvre. Grâce à un travail exceptionnel sur les transitions, Holliger nous fait sentir le passage du temps, jouant sur une gamme de tons clairs pour mieux chanter les saisons chères à Hölderlin.

La musique se déploie dans un fin coloris, à la manière d’un merveilleux camaïeu de gris, subtilement rehaussé de lumières. Le seul véritable corps étranger sera finalement un choral de Bach, extrait de la Cantate 56, presque méconnaissable, qui produit un effet terrassant à la moitié de l’œuvre.

Il fallait sans doute une immense pièce de trois heures pour rendre justice aux 36 années que Hölderlin a passées enfermé dans une tour. Devenu fou, l’ancien et glorieux poète d’Hyperion imagine un patronyme fabuleux, Scarnadelli. La simplicité des poèmes contraste avec les signatures farfelues (les poèmes sont datés entre 1648 et 1940 !). La musique s’écoule avec le rythme implacable des saisons. Le projet de Holliger n’est finalement pas si éloigné des saisons de Vivaldi et Piazzolla, mais en réalité, le dessein est tout autre. Il ne s’agit pas ici de créer quatre mouvements contrastés mais d’immobiliser, voire de suspendre le temps. Les climats de l’année sont propres au compositeur suisse : le printemps et surtout l’été se parent de violentes couleurs (une terrible déflagration résonne dans l’Eté comme si la mort y était contenue), et c’est bien l’Automne et l’Hiver qui deviennent chez lui les pièces les plus lumineuses. Tout en accords parfaits, le chœur y retrouve une sérénité et une transparence qu’on dirait sortie d’un conte de fées avec ses chuchotis de verres en cristal et ses rhombes en tourbillons.

Holliger se livre tout entier sur la scène, avec ferveur, avec fureur, avec grâce. C’est avec sa voix roulante des montagnes qu’il donne le titre de chacune des sections. Le regarder est un spectacle inoubliable : il chante avec le chœur, écoute la tête basse le soliloque de la flûte, mais c’est d’un doigt de fer qu’il signifie les chiffres au chœur dispersé sur la scène. Si la musique envoûte, c’est au prix , on dirait, d’une violence expressive de tous les instants. Et quelle relation aux interprètes, quelle flamme ! L’intercontemporain et le Chœur de la Radio Lettone rayonnent sous sa direction et c’est naturellement une ovation qui salue l’interprétation de l’œuvre.

Scardanelli-Zyklus, une œuvre effrayante ? Trop longue, trop noire, trop lente ? Au contraire, une musique enveloppante et qui récompense profondément celui qui l’écoute.

Concert Scardanelli, jeudi 30 mai, Cité de la musique

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